lundi 2 avril 2012

69

15h24

Joseph marche derrière Sarah. Ils avancent sur l'impasse tranquille qui longe le parc de jeux. Sans prévenir, la petite s'est éloignée du toboggan. Elle s'est mise en tête de promener son père qui la suivit sans faire d'histoires, curieux d'apprendre où l'amènerait sa fille. Comme le faisait son grand-père, Joseph a mis les mains derrière le dos, la droite tenant la gauche par le poignet; il chemine comme cela, légèrement penché en avant, un sourire niais collé à la bouche, le regard fixé sur Sarah qui trotte sous son chapeau bleu, change de direction soudain, s'arrête devant un arbuste sans attrait ou un mégot de cigarette, monte et descend des escaliers pour le plaisir. 
Un jeune adolescent à la mine boudeuse fait de la trottinette sur le bitume depuis quelques minutes. Sarah l'observe longuement. Il est adroit en effet. Avec nonchalance et souplesse, il enchaîne des figures simples, comme sauter du trottoir, dessiner une spirale rapide autour de son pied posé à terre. De temps à autre, il s'arrête, regarde ailleurs, on ne sait où, et ça lui donne un air mystérieux.
Sarah, lassée sans doute, continue son chemin et entraîne Joseph sous les pins parasols qui jouxte l'aire de glisse du garçon. Là, sur un banc, un homme se lève soudain: - Raphaël! crie-t-il d'une voix aiguë, Raphaël! Pas sur la route! Et l'autre de répondre, aussitôt énervé, le visage empourpré : - Mais y'a pas de voitures! Et puis je les verrai venir! - Pas sur le route Raphaël! - Mais c'est nul sinon! - Raphaël! Une voiture te passe dessus et puis c'est fini! 
Raphaël soupire lourdement et n'en faisant qu'à sa tête glisse sur le macadam. L'homme se rassoit sans émotion. Son crâne dégarni et austère se prolonge jusqu'au menton. Son polo beige bien rentré dans le pantalon et ses chaussures impeccablement cirées font froid dans le dos. 
- Quel con celui-là! pense Joseph tandis qu'il aide sa fille à monter sur une balançoire. 
Il a mal à l'adolescent - c'est une colère douloureuse dans ses tripes, que les jours et les ans n'ont pas éteinte - et se promet de ne jamais ressembler à ce misérable.  

Julien Boutonnier       

Aucun commentaire: