lundi 23 avril 2012

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Clarisse regardait dans le vague, assise, nue, sur son lit. Elle tenait dans sa main la lettre de Joseph. La couette défaite tombait sur le sol en faisant des plis le long de ses jambes. La faible lumière de la lampe de chevet ne portait pas plus loin que son corps, si bien qu'au-delà la chambre était plongée dans la pénombre. Sa peau neigeuse sur ce fond de nuit produisait sa propre luminosité, comme une lune pleine.
Elle expira doucement, la bouche entrouverte, et sa langue glissa, légère, sur sa lèvre inférieure qui luisit un instant. Elle aurait aimé déchirer cette lettre, ne plus entendre parler de Joseph et reprendre sa vie d'avant. Elle savait déjà qu'aimer cet homme la ferait souffrir, que son deuil exigerait d'elle de trop grands compromis. Pourtant elle acquiescerait à Joseph. Elle dirait oui, elle dirait oui mille fois, cent mille fois, cent millions de fois. Elle n'aurait pas su l'expliquer. C'était plus fort qu'elle. 
Il suffisait d'attendre maintenant, de se laisser porter, de donner les signes nécessaires aux moments adéquats, d'accepter ses maladresses, d'accueillir son égoïsme et ses terreurs, de se laisser sauver par l'abîme dans ses yeux, de se loger dans cette faille précieuse qu'il possédait.

Julien Boutonnier