mercredi 14 mars 2012

43

16h54
Un homme s'est allongé à même le trottoir, sur le dos, les bras le long du torse. Il ne porte pas de chaussures, seulement d'épaisses chaussettes noires. A défaut de sacs ou de souliers, des cadavres de bières jonchent autour de son corps. De nombreuses couches de vêtements, d'une saleté repoussante, s'empilent sur sa peau, comme une sorte d'armure dérisoire. L'homme, qui doit être âgé d'une quarantaine d'années, porte une barbe hirsute; ses cheveux sont rasés. Une crasse lourde fait comme un masque sur son visage creusé. Il n'ouvre plus les yeux depuis un moment. De temps à autre sa bouche bée et de sombres cris en jaillissent, brefs, rauques, bestiaux, tels d'horribles virgules ponctuant son silence. Les passants ralentissent, le jaugent un instant, échangent parfois un commentaire; rares sont ceux qui s'arrêtent, qui hésitent et se demandent que faire; aucun ne se sent impliqué par ce gisant au point de lui parler ou du moins de se pencher sur lui. Clarisse passe elle-aussi. Elle est pressée de retrouver Sarah qu'elle va chercher à la crèche. Elle aussi, aujourd'hui, s'est parfaitement adaptée au camp: à cet espace de mort et de misère extrême qu'ont expérimenté les nazis- avec quel sinistre brio... -, et que nos sociétés organisent à leur échelle, sans miradors ni barbelés, doucement, sans transports de trains coûteux, sûrement, dans la convivialité la plus atroce, insensiblement, avec le sourire, follement, dans l'indifférence pathologique de ces névrosés qui construisent leur enfer, leur sale vie, sur la base du refoulement d'un traumatisme ancien.

Julien Boutonnier    

2 commentaires:

gilles a dit…

merci pour clarisse, sarah, joseph, ces nouveaux amis. même si le rythme quotidien n'est pas toujours facile à suivre...

sur le 43 : si la société a organisé des camps,est-ce à dire que clarisse et les autres en sont non seulement les complices, mais peut-être les kapo ?

longue vie...

gilles

gilles a dit…

merci pour clarisse, sarah, joseph, ces nouveaux amis. même si le rythme quotidien n'est pas toujours facile à suivre...

sur le 43 : si la société a organisé des camps,est-ce à dire que clarisse et les autres en sont non seulement les complices, mais peut-être les kapos ?

longue vie...

gilles