lundi 12 mars 2012

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02h53
Joseph est allongé sur le côté. Clarisse endormie respire dans sa nuque. Sarah dans sa chambre construit le monde à venir depuis le siège de son rêve. Dehors la lumière de la lune absorbe la nuit qui se laisse étreindre, consentante, comme lasse de son règne. Joseph ouvre les yeux pour la cent millième fois ce soir. Comment pourrait-il supporter un jour de plus de porter le poids de sa présence, d'y consentir? Comment pourrait-il parler encore une fois, attester son ancrage dans la souffrance, parapher d'une parole ce manque qui l'assiège et le tourmente, cette plaie qui ne cesse de produire la matière même de sa personne? Quand la moindre minute de sa vie sera un jour ou l'autre oubliée, quand la moindre production de son désir sera détruite par le temps? Joseph manque d'air. Déjà il commence de s'anéantir, chaque heure l'efface un peu plus, il s'éparpille dés maintenant dans les poussières et les vents. L'angoisse colonise chaque veine de son corps. Il s'ouvrirait les sangs pour évacuer ce sentiment oppressant s'il ne sentait dans son cou un souffle discret. Cette respiration douce, calme, qui caresse sa peau comme une houle aimante, le ramène à sa promesse, à son courage, à son visage le plus sûr: Clarisse. Quand bien même rien ne resterait de nos histoires humaines, sa femme aura existé pour lui. Elle est là, présence irréfutable à jamais, là, petit îlot de vie improbable où s'agripper, construire un abri en attendant la mort, et rire un peu, jouer, fabriquer quelques beautés peut-être. Sarah gémit brièvement dans son sommeil de démiurge. Sarah! N'incarne-t-elle pas la force même de l'oubli où se niche la vie des hommes? Sarah! N'est-elle pas cette déesse qui incarne pour son père, en un seul sourire, sa fertilité et son néant? Alors Joseph accepte, il accueille son angoisse, il la soigne comme une enfant terrible, un petit être irresponsable dont il faut s'occuper, il la loge dans sa chair et lui raconte des histoires pour l'apaiser. 

Julien Boutonnier        

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