mercredi 20 juin 2018

1 aM







Le post précédent, cette publicité rédigée à l'occasion de la parution de M.E.R.E, fut la dernière du blog peut(-)être. C'est du moins ce que j'ai pensé pendant plusieurs semaines. Il m'apparaît en effet que l'élan créatif dont peut(-)être fut entre autres le théâtre a trouvé un aboutissement possible dans M.E.R.E. Ce travail autour du deuil, du trauma, de la Shoah, de l'écriture, de la négativité salutaire, touche sans doute à sa fin. Certes, il me reste à écrire le dernier livre provoqué par le Rêve de New York. Tel qu'il s'annonce, il ne sera pas tant voué à la question du deuil qu'à celle de la maladie vécue comme une opportunité existentielle de frayer les lisières dans l'épaisseur qu'elles recèlent. Je me réfère ici aux notions de frontière, limite et lisière telles qu'Emmanuel Hocquard les développe dans Le cours de Pise:

(
La frontière est une ligne (abstraite, même si elle peut coïncider avec quelque chose de concret: un fleuve, par exemple) de séparation entre deux entités préalablement définies et connues. Exemple: la frontière entre deux pays, entre deux disciplines, entre deux cultures. Quand on passe ou qu'on franchit une frontière, on quitte un territoire pour entrer dans un autre. La capitale initiale et le point final d'une phrase marquent des frontières. On quitte une phrase pour entrer dans une autre phrase. 



La limite est également une ligne, mais qui désigne le bout, les confins, d'un territoire: la (les) limite (s) d'un champ, de ma patience, de mes possibilités, etc. La limite est considérée depuis l'intérieur, depuis l'endroit où je me trouve et elle ne prend pas en compte, comme la frontière, ce qui est au-delà: le hors-limite, le hors-champ. Le limes (en latin) désignait le sillon, le fossé ou le talus (voire le mur par endroits: par exemple le mur d'Hadrien au nord de l'Angleterre) qui entourait l'empire Romain considéré depuis son centre, Rome. Le limes n'était pas une frontière. Au-delà de cette limite extrême, il n'y avait rien de connu. Rien que l'innommable, la sauvagerie, le barbarie... En termes de langage, Wittgenstein parlait des limites ou des bornes du langage au-delà desquelles il y a le hors-langage, l'indicible "Ce qu'on ne peut pas dire (ou ce dont on ne peut parler), il faut le taire."

Dans notre énoncé "    dans la cour     platanes cinq      ", ce qu'il y a avant et ce qu'il y a après est hors champ. La minuscule initiale et l'absence de point final marquent les limites de ce qui est dit. Alors que la frontière est une ligne fixe (fixée), la limite est une ligne fluctuante qui peut être repoussée. De tout record on peut dire qu'il repousse une ancienne limite.


La lisière est une bande, une liste, une marge (pas une ligne) entre deux milieux de nature différente, qui participe des deux sans se confondre pour autant avec eux. La lisière a sa vie propre, son autonomie, sa spécificité, sa faune, sa flore, etc. La lisière d'une forêt, la frange entre mer et terre (estran), une haie, etc. Alors que la frontière et la limite sont des clôtures, la lisière sépare et réunit en même temps. Un détroit est une figure exemplaire de lisière: le détroit de Gibraltar sépare deux continents (l'Afrique et l'Europe) en même temps qu'il fait communiquer deux mers (Méditerranée et océan Atlantique).

Dans notre énoncé "    dans la cour     platanes cinq      " on peut dire que l'espace blanc entre les deux parties de la proposition s'apparente à une lisière:
1. Il les sépare et les réunit en même temps. Sa mesure est variable. Aucune règle imposée du dehors ne peut la fixer. 
dans la cour     platanes cinq 
dans la cour                      platanes cinq 
dans la cour           platanes cinq 

2. Cet espace blanc (marge intérieure) est "contagieux": il transforme l'énoncé tout entier en lisière. {...}
À rattacher aux lisières tout ce qui concerne les marges (marginalia), les chemins de traverse, les espaces résiduels ou terrains vagues...
Les lisières sont les seuls espaces qui échappent aux grammairiens d'État, les jardiniers de Versailles et les urbanistes internationaux."
E. Hocquard, Le cours de Pise, édition établie par D. Lespiau, P.O.L)

J'avais l'intuition depuis plusieurs années qu'une frontière avait une épaisseur, qu'elle était elle-même un territoire, lequel appelait une exploration par l'écriture. Mais je n'arrivais pas à formuler mon intuition dans des termes suffisants parce que si la frontière demeure une séparation, il lui manque la dimension unifiante. J'avais cru trouver une notion utilisable quand j'avais rencontré l'expression frontière épaisse, mais cela n'avait pas porté. (Et pourtant, en relisant ceci... Ainsi, la frontière n’est pas conçue comme limite, mais étudiée comme lieu support d’une dynamique de passage, d’échange, de manipulation, de crise ou d’invention identitaire.) C'est en lisant Hocquard que je peux nettement différencier les choses. La lisière a en effet le caractère épais propre à un territoire, elle n'est pas une ligne. Cependant le réel apport de Hocquard, outre le couple séparation-réunion, tient à la précision selon laquelle une lisière a sa faune et sa flore propres, ses qualités intrinsèques, elle est singulière dans l'environnement dont elle participe (à la façon de la haie (Hocquard a écrit un livre intitulée ma haie, il faut que je regarde ça)).

Le troisième livre donc tiendra à quelque chose de la lisière, de la maladie (de Basedow, maladie auto-immune dont j'ai souffert quand j'ai rédigé M.E.R.E) consentie comme expérience d'un entre. Je me propose de relier cette image de la maladie comme lisière à la notion de pharmakon. Dans le Rêve de New York, je finis par boire une mystérieuse soupe miso dont je ne sais si elle est un remède ou un poison. Ainsi, le rêve pose la question du pharmakon. Me reste à creuser cette constellation 
MALADIE (Basedow) - LISIERE - PHARMAKON - RÊVE DE NEW YORK. 

Si je n'ai pas fermé ce blog, c'est parce qu'il me semble qu'il reste un outil pertinent pour travailler (notamment retrouver facilement les notes et les citations). Alors, je déclare ouvert le deuxième (ou second on verra) âge de peut(-)être. J'arrête donc le comptage initial (nous en étions à 688 posts) et en initie un autre avec cette publication: 1aM comme: 1er post après M.E.R.E. Cela impliquera sans doute une organisation nouvelle du blog; je m'y pencherai cet été quand j'aurai un peu de temps. 

*



(bus - assis, 17h10)

des jambes nues filent dans le vrai
c'est une jeunesse qui jonche
avec le rouge des bouches
dans la main

     j|e regarde un peu la marge

depuis les visages sans nombre
des voix du meurtre
fleurissent et trouent le sable

combien de bras pris dans les songes
d'un énoncé trop certain

          tu fais des pâtes 
          on mange dans cinq minutes

*

MAIS
écrire avant toute chose le traité d'ostéonirismologie dont voici une première ébauche de plan. C'est une entreprise sage parce que folle, insensée parce que plus ou moins infaisable.










***

Aucun commentaire: