mardi 1 décembre 2015

579 - peut(-)être un journal








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MELANCOLIE SANS L'AUTOMNE



          comme un titre à rien

          à la façon d'une eau vouée à l'oubli


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          tu sais
          je voudrais ta bouche 
          ta voix qui ne cesse plus
          chargées de toi 
                                                        jusqu'à la plus que soif

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L'enjeu, hier pour Artaud comme aujourd'hui, et singulièrement aujourd'hui, c'est cette liberté d'un corps non pas livré à lui-même comme clôture de son égo, mais traversé par l'exigence d'échapper à sa propre voix comme à celle des autres pour non plus seulement retrouver ou pauvrement rejoindre, mais inventer une voix capable de déjouer toute origine et inventer un corps et le monde qu'on choisira de peupler.`


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CE N'EST PAS UNE EMOTION QUE JE RENCONTRE. Ce n'est pas non plus un flux d'images ou un mot d'ordre. C'est un désir politique que l'ambiguïté n'épargne pas. Par ambiguïté je considère que je ne suis pas exempt d'un souhait d'en finir avec ce fracas assourdissant d'un réel qui ne se laisse décidément pas saisir. Mais que peut être aujourd'hui un désir politique? Comme rendre aux corps cette portée d'un collectif qui ne soit pas un prétexte? Je parle d'un collectif qui trouve sa finalité en lui-même, c'est-à-dire dans une altérité inassouvissable. Comment se départir de cette déliaison morbide qui nous frappe tous?

Il prit place à la chaire et fit le vent des siècles aux oreilles lasses:

Ô désir politique!
ah!
que l'argent soit dépecé, jeté aux ventres des baleines!
mon désir politique veut de l'amour et de la Loi!
il veut un récit où la mort est à la table de vie!

Ô désir politique!
au fondement la guerre est tout!
et chaque jour pour recueillir l'adresse des pulsions
et chaque jour pour dire les paroles qui nous fabriquent

Ô désir politique!
c'est un destin qui nous manque
mais un grand désarroi est un destin
pour qui sait faire parler l'oracle!

Ô désir politique!
par l'oracle tu acquiesces à la voix
écoutons les noms à venir:
ployez sous le joug de la liberté!
présentez vos veines à l'accueil!
guerroyez contre cela qui succombe au besoin de consolation!

écoutez-le, le voici:
nous sommes inconsolables!
nous avons l'avenir pour origine!
nous ne sommes jamais identiques à nous-mêmes!
nous avons tout déséquilibre pour vocation!
nous avons l'altération des paroles pour visage!
nous sommes à l'image des paroles!
nous sommes depuis l'abîme et de nulle part ailleurs!

Ô désir politique!
c'est de lier nos fils et nos filles dans les rets d'un récit!
c'est de leur couper un membre pour qu'ils comprennent qu'ils sont de l'humanité!
c'est de les délier : et qu'ils apprennent par eux-mêmes!

Ô désir politique!
la Loi : la brisure!
et défait et debout j'en viens aux mains
et mes mains sont pleines de paroles
et le meurtre est depuis Abel
l'envers des paroles
des paroles qui témoignent de l'impossible
et restaurent l'humain dans sa pleine dimension:

fragile parmi, l'humain trouve sa gloire au partage de sa blessure
Ô blessure politique!

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JE SUIS A LA TABLE DE LA CUISINE ET SEUL. le petit déjeuner en est resté. il y a la pluie, qui fait son bruit sur la vitre de la véranda. et le tonnerre à l'arrière qui cherche quelque chose. c'est un climat propice à l'écriture. la réminiscence espère beaucoup du coeur humain. parfois au détriment de la ravine inédite.

j'en reste-là.
je déjeune à nouveau.
attendra ce que veut :
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Dans ma plaine, le temps est rarement au beau. Un ciel bas, gris, glisse le jour. De temps à autre il s'effondre dans l'espace et c'est dans un épais brouillard que je marche. J'aime sentir les gouttelettes en suspens frapper mollement la peau de mon visage. Il m'arrive fréquemment d'ouvrir la bouche pour que le brouillard l'emplisse, chatouille mes amygdales, dépose sa fraîcheur sur les flancs internes de mes joues. 

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"Ne me dis pas que tu vas manger ce caca de malheur!" 

parfois des phrases retentissent dans la part et me vient le désir de ne plus m'en séparer
c'est une musique autrement plus qu'un sens
une exclamation de l'anonyme
à fleur de l'affect


                                                           ! 
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IL FAUDRAIT ECRIRE UNE ODE DONT L'OBJET SERAIT LE RETARD AU TRAVAIL. Parce qu'être en retard au travail, voilà qui demande une forme de courage. C'est une brèche dans le devoir accompli (qu'est-il de plus sournois que le sentiment du devoir accompli?) : la porte ouverte à la question fondamentale et éminemment politique: que faire de ma journée? Ne pas respecter l'horaire, c'est introduire un flottement, c'est créer de l'agacement, du conflit, c'est faire porter aux autres mon incapacité ou ma légèreté, c'est mettre en branle le corps collectif que ne cesse de figer la mécanique managériale.
Etre en retard est un acte génial, parce qu'il implique implicitement une justification, c'est-à-dire une mise en parole de ce qui est probablement sous-tendu par un désir qui ne demande qu'à s'exprimer.

Il est en revanche essentiel d'être à l'heure à un rendez-vous avec des amis.

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Marcher dans le brouillard est une joie. Mes démons s'apaisent. Mes pensées ralentissent, se défont au profit d'une vacance douce insensée. Comme je n'ai rien à regarder dans la densité du nuage, j'entends mieux les crissements de mes semelles, les gémissements des cailloux. Chaque pas prend de l'importance. C'est comme un pouls. Ma marche devient comme un pouls du paysage caché. Et l'espace derrière la tenture du brouillard acquiert une qualité de présence qu'il n'a pas à l'ordinaire, par temps suffisamment dégagé pour que mon regard porte au loin. L'espace dans ce pouls de ma foulée trouve à exprimer la consistance fuyante de son air, de son vent, de son étendue.

QUELLE EST LA PROXIMITE ENTRE TAFTA ET KAFKA, voilà une vraie question pour quelqu'un qui prétend échouer sur la langue.

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Pourquoi ne devrais-je pas attendre demain pour être irrésistible?

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Superman Vs Lancôme

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- où tu vas?
- à l'école de sandwichs!

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Clairefontaine Vs je t'encule

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Dans ma plaine il y a un arbre. C'est un arbre gigantesque, merveilleux. Il culmine haut dans le ciel et souvent les nuages se plaisent à loger son branchage. A l'automne, ses feuilles rougissent et pleurent. Ce qui me touche, ce sont les flaques de larmes qui scintillent au soleil sous les branches désolées. De loin, à la faveur d'une perspective conciliante et d'une position du soleil adéquate, j'aperçois miroiter la surface des flaques. C'est comme un appel dirigé vers mon coeur pour que s'éveille ma propre sensibilité à la douleur des heures et des lieux. En ces moments, je ne doute pas que la matière qui me constitue, dont je ne suis qu'un moment - une distraction peut-être ou une impasse - cherche à exprimer son propre assujettissement à cette sensation qui, à certaines époques de l'année, gouverne ma plaine. Je lui lâche la bride, à cette matière dont je suis un lieu hasardeux. Dés lors, mes bras s'allongent, mes pieds fondent, mes os s'assouplissent jusqu'à se liquéfier: je deviens moi-même une flaque sur le chemin. Je deviens l'expression fondamentale, sans aucune médiation, de la matière livrée à sa peine la plus authentique. Ce sont là des moments où j'oublie mon nom, où je trouve repos. Je me plais aussi à refléter la lumière du soleil sans autre prétention que consister-là, de conserve avec les larmes du grand arbre là-bas.
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ET PUIS SOUDAIN DANS LE BUS, c'est une expression qui légifère. une expression dont je ne saisis pas le contenu. seule la nécessité m'emporte. il s'agit donc d'écrire pour répondre. sans pour autant que quelque chose soit à dire. ce n'est pas un message qui importe en l'occurrence, c'est l'adresse, l'accueil et le mouvement

vers
c'est le combat contre l'entropie, comme si le texte pouvait être le feu lui-même. je veux dire: un foyer qui irradie, dont on parle: une présence autour de laquelle on se réunit.
Une opportunité en somme.

le texte comme une opportunité, c'est cela oui.
où la mort donc aurait droit de cité. 

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Q(uel est l'imbécile q)ui veut d'une vie heureuse?

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LA COUR DE NOUVEAU - et les enfants - qui brûlent - éclats de feu - la pulsion vive - affleure - et c'est un soleil - un avenir - la guerre - la destruction - le meurtre - comme autant de possibles - dans le sourire - ou dans les pleurs - des petits - comment répondre - quelle parole - quel geste - pour que gagne la langue - et pour - l'accueil - pour que l'autre soit accueilli - en chacun

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JE ME SUIS INVENTE UNE FORME D'ECRITURE, dans le jardin clos de mon atelier. j'appelle cela une dérive, comme on parle peut-être d'une fatrasie, d'un églogue, d'un ready-made ou d'un cut-up. il s'agit d'une prose qui recueille du roman, comme on recueille du sable, du roman sans corps : il n'en reste que le rythme et du fantasme. une dérive est un bout de la langue, qui se fait au présent, c'est-à-dire qu'elle se dévoile et se comprend elle-même au fur et à mesure qu'elle apparaît - ce n'est toutefois pas une écriture automatique parce qu'un thème la borde - à savoir: la guerre peut(-)être. elle est de plus à usage unique : c'est-à-dire que c'est une forme valable une fois. En ce qui me concerne, elle se prête à la voix d'un mort : moi-même, au plus sensible et vérace que je peux être dans la promiscuité avec le songe et le corps.

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il y a comme des couleurs et du rythme jetés dans la méthode.


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1 commentaire:

Dominique Hasselmann a dit…

Le désir politique et la blessure : cicatrice de l'une dans l'autre.