La paume - 1
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Où germe l'intuition d'un ouvrage
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Je suis tombé sur le portrait de l'image que je me fais de moi-même. Je l'ai découvert en parlant sur le divan du psychanalyste. Il m'est venu par un silence au coeur des mots, d'abord par un silence au coeur des mots. Je l'ai vu, en esprit, oscillant sur un fond de nuit. Il m'a hypnotisé. Et j'ai dit oui. Succomber, enfin, au visage, pas le mien non, au visage que j'existe en mon for. Il y faut un peu de magie. Il y faut un état second.
Le médaillon. J'ai dit, je me souviens parfaitement, un peu parfaitement, j'ai dit, il y a un médaillon.
Ce n'était pas la première fois que ce médaillon s'imposait dans les mots que je dis sur le divan. Disons plutôt, les mots qui utilisent ma voix pour que je l'entende, une fois au moins de temps à autre. S'entendre, c'est aisé, mais s'entendre, rien de plus difficile.
Le médaillon, la première fois que je l'ai vu, c'était il y a plusieurs années maintenant. Il ne représentait pas encore l'image que je trouve/crée de celui que je deviens. Il représentait ma mère. J'y voyais un portrait d'elle dans sa vingtième année, telle que je ne l'ai jamais connue. Elle était coiffée à la mode des années soixante, son regard était doux, et son sourire discret avait quelque chose de sage. J'oserais dire qu'il y avait peut-être du tragique dans le doux. Une blessure avait lieu, elle faisait trembler la pupille, mais on pouvait penser sans peine se faire une idée, et délaisser cela sans plus chercher.
Ce médaillon en sa première mouture m'a hanté. Des semaines. Il me venait en tête sans prévenir, de façon obsessionnelle, je ne parvenais pas à m'en débarrasser. (Autre image obsessionnelle: le cd impossible à insérer dans le lecteur: chaque fois que j'appuie sur le bouton close, que le tiroir amorce sa fermeture, le disque s'envole comme une cible de ball trap - cette scénette absurde, rien que de l'évoquer, provoque une angoisse). Et puis il a disparu. Pour dire, il s'est mis à receler du secret derrière toutes sortes de paravents ordinaires. J'ai bu à cette source durant des années. Le temps, j'imagine, que viennent à maturité les éléments d'une constitution intime convaincante. Construire le masque d'une personne prend du temps. Et même à soi-même on présente un masque d'une personne, dans la plus profonde intimité, c'est lui qu'on rencontre en guise de soi. Il reste à le laisser tomber, pour amorcer une liaison angoissante avec l'informe le plus certain, si l'on désire pousser plus loin la rencontre, mais ce n'est guère instructif. Mieux vaut, à en croire l'intuition, se tourner vers l'intérieur de l'avenir.
Et voilà qu'aujourd'hui le médaillon se présente à nouveau, avec un certain panache, sous la forme d'un autoportrait historique, celui de Jean Fouquet.
Je l'ai reconnu tout de suite quand il est apparu pour osciller sur un fond de nuit. Je le connais depuis longtemps puisqu'il est représenté dans un beau livre que je possède. Il m'a été cependant impossible d'y accoler le nom de Jean Fouquet, pour la simple raison que je ne pouvais pas démordre, quoi que sachant pertinemment que cela était faux, d'une affirmation idiote selon laquelle l'artiste en question se serait nommé Jean Moulin.
Il a été tôt fait de déceler dans ce héros une obscure embuscade de la résistance, non pas à l'ennemi nazi, mais à la venue du terme juste, et, disons, à une signification gênante en quelque dimension de ma vie consciente.
Le psychanalyste a répété, murmuré, le médaillon.
On en était là.
La résistance française ( de sa langue en moi veux-je dire) tenait bon.
Nous en sommes restés là.
Au sortir de la séance, j'ai noté dans le carnet qui s'écorne en honorant chaque jour la poche de mon pantalon:
Endeuiller le deuil
Le livre d'Hippolyte et mon corps: comment on demande le sel à table; comment on remercie... listes
Histoire de ma disparition: axe du livre
Les journaux
Poèmes
Pubère et Toto-Macron
Les abscisses (Tesselles)
L'armoire en merisier, objet central.
Description du médaillon
Un cours de ma psychanalyse
Un cours de ma psychanalyse
Où allons-nous, ai-je dit à ce type dont on me demande régulièrement des nouvelles.
Le médaillon - janv 2014
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