jeudi 18 octobre 2012

245 - A propos des allitérations

Hier matin, j'ai publié un nouvel exercice d'allitérations pour lequel je m'étais levé à cinq heures trente. Cela donnait: L'espoir moire le noir, comme le soir la Loire. Pour la première fois depuis que j'ai commencé ce blog, j'ai retiré le message avant la fin de la journée. J'avais en effet, concernant cette petite production, le sentiment d'une catastrophe. L'objet de ce texte présent reste d'en circonscrire la cause, d'en saisir la teneur. 

Il faut d'abord pour cela que je me remémore les conditions dans lesquelles j'ai accouché de cette phrase qui me tourmente. Je me suis installé à la table de la cuisine. Il faisait nuit encore. J'ai disposé les feuilles vierges et un stylo bille sur la nappe orange. Je ne me suis pas mis tout de suite au travail. Je me suis préparé un thé. Selon le protocole que j'ai établi pour ces exercices, j'ai choisi un mot qui me venait à l'esprit, ce fut le mot espoir. J'ai cherché un maximum de mots pouvant contenir les mêmes sons. Je me suis ensuite mis au travail. Ce fut difficile. Il m'a fallu une bonne heure pour aboutir à cela: Choir échoit au soir. Je n'étais pas satisfait. Mais j'ai décidé de publier quand même, à la faveur de mon ego qui ne supportait pas que je puisse m'être levé de si bonne heure pour rien. Quand j'ai rédigé le post sur la fenêtre de mon blog, recopié la liste des allitérations, il m'en est venue une nouvelle, le verbe moirer. En quelques secondes, j'ai écrit : L'espoir moire le noir. Il m'est subitement apparu pertinent d'affirmer que l'espoir travaille le noir (ce qui porte la mélancolie) en surface pour lui prêter des reflets propres à chaque regard d'homme. Après quelques (malheureuses) secondes de réflexion, j'ai ajouté: comme le soir la Loire
Et, dans une fièvre complexe, j'ai publié. 

Dès lors, je fus hanté par la perspective à la fois certaine et incertaine d'avoir montré à lire à mes lecteurs une pure nullité, une poésie d'une rare médiocrité. Afin de tenter, maladroitement, d'apaiser mes doutes, j'en ai parlé à ma femme qui, avec sa franchise habituelle, m'a affirmé que cette phrase était nulle en effet, que ces allitérations n'en étaient pas vraiment puisque les sons ne relayaient que très vaguement le sens. Pour confirmer son jugement, elle avança l'argument tonitruant d'une chanson de Claude Nougaro où La pluie fait des claquettes, sur le trottoir, à minuit. Là, me dit-elle, j'entends la pluie tomber... Ce que je ne nie pas.
La teneur de mon sentiment catastrophique pour cette phrase : L'espoir moire le noir, comme le soir la Loire, tient sans doute à ce qu'elle est l'enseigne honteuse de mon incompétence à manier un outil de la poésie aussi fondamental, éprouvé, ancien, que l'allitération. Cette phrase, de plus, bien que malgré elle -attribuons cela à un emportement niais, voulez-vous -, porte la prétention éléphantesque de faire poésie à un summum - comme le soir la Loire..., il fallait oser quand même! - selon une présence qui ne relève pas de ma propre nécessité, mais d'une image institutionnalisée, boursouflée, figée de la Poésie définie selon l'expérience passée et non selon l'expérience présente.

Depuis que j'ai commencé ces exercices d'allitérations, lesquels je souhaitais être un outil interactif avec les lecteurs, je suis de toute façon la proie d'une gêne. A peine perceptible au début, elle n'a cessé de croître jusqu'à hier où elle a laissé place à ce sentiment de désastre qui nous occupe aujourd'hui. Je pense que la cause en est mon manque d'affinité avec cette figure de style, et peut-être avec toute figure de style. J'apprends, semble-t-il, aux dépends hélas des lecteurs, que l'on ne s'improvise pas artisan de l'allitération. Sans considérer le facteur travail qui compte pour beaucoup - je crois plus pour ma part au travail qu'au génie, bien que le second (en tant qu'autre de l'écrivant) permette sans doute au premier d'aboutir à une forme convaincante -, j'imagine que le poète, déjà, dans le choix de ses outils et de son style, affirme quelque chose de sa singularité. En bref, le choix de la forme est déjà du poème. Il n'y a là rien de révolutionnaire, c'est même un peu une vérité de La Palice, mais voyez-vous, comprendre cela au travers d'une expérience vécue, taraudante, lui donne une consistance que jamais un discours ne pourra transmettre. 
(C'est pour cela sans doute que chaque homme est invité à découvrir ce que tout le monde sait, y compris lui-même, et que peu d'hommes savent vraiment ce que tout le monde sait parce que s'engager dans l'expérience, au-delà des simples paroles, demande du courage, qualité dont beaucoup manquent - et j'en suis hélas souvent...) 

Je me sens donc autorisé à affirmer - mais qui pourrait m'en empêcher? -, en ce qui me concerne, qu'il est difficile de jouer avec les allitérations.  La question qui se pose donc, à l'issue de cette réflexion confuse, convenue et parfaitement vaine, peut se poser ainsi, et elle m'est personnelle: quels sont les outils adéquats pour répondre à l'appel de la poésie qui parfois résonne en moi ? A ce jour je ne sais pas répondre. L'avenir peut être...   


P.S: Il faudrait aussi réfléchir aux mots en eux-mêmes. ESPOIR peut-il susciter chez nous (moi en tout cas) autre chose qu'un désarroi par les temps qui courent? La Loire, pour le Languedocien que je suis, c'est un passé dans lequel niche la belle Langue, la Langue pure des Francisans...

P.S 2: J'ai maintenant le parfait sentiment d'être passé, complètement, à côté de la vraie cause de mon désarroi...

P.S 3: Choir échoit au soir, c'était pas mal en fait... on entend plutôt la chute, l'écrasement...


Quoi qu'il en soit, les joggers joggent: voilà le vrai mystère...









La lunette d'approche

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