vendredi 22 juin 2012

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Jérôme Burau, sur le divan: - Ce week-end, je me sentais bien. J'étais présent, dans mon corps. Ma peau me fournissait des sensations auxquelles je n'avais encore jamais prêté attention. Je m'amusais à écarter les doigts et à sentir le vent passer entre... C'était simple, c'était délicieux... Je me demande comment j'ai pu vivre dans une telle absence à moi-même... Aujourd'hui le simple fait de respirer me semble prodigieux. Que l'air entre dans mes poumons sans que j'aie à y penser, c'est un miracle... Et puis j'ai arrêté de penser tout le temps. Les mots ne tournent plus dans ma tête. Il y a un silence en moi qui a le goût de la lumière, de la paix... Je me souviens quand j'allais chez ma grand-mère pendant les vacances, je jouais... mais je me souviens maintenant que mon grand-père est mort pendant la guerre... C'est drôle parce que je n'y pense jamais, à cet homme. Et là, tout de suite, il me paraît très présent, cet homme. Qu'y était-il? Comment est-il mort? Comment ma mère a-t-elle vécu cette disparition?
Silence...
- Je ne connais pas l'âge de ma mère. Je me rends compte que je ne connais pas son âge. Je ne sais même pas le nom de son père. L'a-telle seulement rencontré avant qu'il meure? J'entends ma grand-mère affirmer qu'il est mort à la guerre. Jamais elle n'en a dit un mot de plus. Et sa façon de le dire était définitive. Après on parlait d'autre chose. Je n'ai jamais posé la question à ma mère. Pourquoi est-ce que je ne lui ai jamais posé la question?
Silence...
- Oui mais elle est folle...
Silence...
- Il faut que je sache pourtant. Il y a quelque chose d'important... Je le sens... Il faut que je sache qui est mon grand-père.
- A vendredi? a demandé Joseph en se levant.
- Oui, à vendredi, a répondu Jérôme Burau en se levant à son tour.

Julien Boutonnier

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