mercredi 30 mai 2012

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Joseph se voyait tomber dans un trou sans fond. Et bien que navré, il y prenait un certain plaisir. 
C'était une sentiment paradoxal donc, complexe, qui tenait, à la fois, du dégoût et d'une perfide satisfaction. Se laisser aller dans la dépression, se montrer minable devant Clarisse, lui procurait une jouissance qui le ravageait mais à laquelle il n'aurait su opposer de résistance. Tout son corps acquiesçait à cette sensation qui l'électrisait dés lors qu'il lâchait prise et s'avilissait. Il accomplissait une sorte de plan préétabli depuis l'origine du monde, selon lequel, après avoir séduit Clarisse, il devait la dégoûter, la faire fuir. C'était inscrit dans sa chair, dans ses os, selon une formule lapidaire quoique sans grandeur ni style héroïque: Tu es une merde.
Joseph suivait à la lettre ce programme de quatre mots qu'une voix anonyme rabâchait sans relâche dans son esprit. Il jonchait le canapé, le lit, une chaise, les yeux perdus, les bras mous, à longueur de journée, comme s'il n'avait pas de squelette ni de conscience. Il jonchait à la manière d'une déjection, dans l'attente qu'on le mette à la poubelle. Il ne parlait plus, ne répondait plus aux sollicitations de sa compagne. Il jonchait.
Cette manière d'être agressait terriblement Clarisse qui, au bout de quelques mois, excédée, désespérée, a fini par se tuer. Elle a posé la casserole dans laquelle fumait des nouilles au beurre, elle s'est jetée par la fenêtre de l'appartement et s'est rompue le cou sur le bitume. 
Joseph fut un peu embêté parce qu'il n'y avait dés lors plus d'âme charitable susceptible de le mettre à la poubelle. 
Il a regardé un moment les volutes grises danser au-dessus des pâtes qu'il a fini par manger, avec du gruyère. 

Julien Boutonnier

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