vendredi 11 mai 2012

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Il y a un jeune homme qui fait la manche devant la porte du buraliste du quartier. C'est un grand gaillard, blond, dont les vêtements, toujours les mêmes, restent propres au fil des jours, quoiqu'ils s'usent et se trouent. Son chien, au poil roux et soyeux, un bâtard quelconque, quelque part entre le setter et le labrador, somnole le plus souvent près du sac-à-dos, enroulé sur lui-même. 
Son maître se tient debout. Il ne s'assoit jamais. Il fume de temps à autre une cigarette roulée qu'il tient entre les doigts de sa main gauche. Son regard ne cherche pas celui des passants, non plus ne reste fixe, perdu dans un vague suspens de la conscience, comme on le voit souvent chez les personnes qui font ce drôle de métier de tendre la main dans le vide des villes. Le jeune homme, debout, devant le buraliste, lit de vieux livres de poche racornis qu'il tient dans sa main libre, la droite, celle qui ne fume pas. Qu'il fasse froid ou chaud, qu'il vente ou pleuve - en ce cas, tant que les gouttes ne sont pas trop drues, on le voit protéger ses pages en se penchant contre le mur de la boutique - il lit des polars, il lit des romans, il habite la maison du livre, retranché dans cette demeure de l'homme, ce refuge, cet ultime abri où il arrive que nous trouvions encore à ressourcer nos esprits quand le monde sombre dans la nuit. 
Cette attitude singulière ne manque pas d'interpeller Clarisse qui, lorsqu'elle va acheter "L'Impossible" en début de mois, lance un bonjour délicat à ce lecteur solitaire devenu pour elle, au long des semaines, une figure de sa vie, un repère de son quotidien, et laisse une pièce dans la casquette qui gît à ses pieds. 

Julien Boutonnier

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